“C’est la négociation la plus importante en France depuis dix ans”

temps de lectureTemps de lecture 5 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3901

Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint en charge de la politique revendicative CFDT, décrypte les enjeux de la négociation “Pacte de la vie au travail”, qui s’ouvre en cette toute fin d’année 2023. Les discussions doivent aboutir dès la fin mars pour une transposition législative d’ici à l’été 2024. Rencontre.  

Par Anne-Sophie Balle et Fabrice Dedieu— Publié le 19/12/2023 à 13h00

Yvan Ricordeau est le secrétaire général adjoint de la CFDT.
Yvan Ricordeau est le secrétaire général adjoint de la CFDT.© Joseph Melin

Le 22 décembre s’ouvre une négociation XXL sur l’emploi des seniors, les reconversions professionnelles et le Compte épargne-temps universel (Cetu). Comment en est-on arrivé là ? 

Pendant des mois, les travailleurs ont exprimé dans la rue, au-delà de leur opposition à la réforme des retraites, la volonté de parler du travail, des parcours professionnels et de l’amélioration de la dernière partie de carrière. Cela aurait d’ailleurs été logique et cohérent que l’on traite ces questions avant de réformer l’âge de départ en retraite. Ça n’a pas été le cas, et nous le regrettons. Mais le gouvernement nous invite enfin à parler du travail dans le cadre d’une négociation qui, vu son périmètre comme son contenu, est la plus importante que l’on ait connu en France depuis dix ans. Nous avons là l’opportunité de traiter de sujets essentiels pour les travailleurs, ce que nous réclamions depuis le début. Ne boudons pas notre plaisir…

Est-ce que l’on peut encore faire confiance au gouvernement ? 

Il n’y a pas un brin de naïveté du côté de la CFDT. On a face à nous un gouvernement qui préfère pousser des réformes, souvent un peu trop vite, que jouer le jeu du dialogue social. On le sait et on a appris à faire avec en s’opposant quand on n’était pas d’accord (on l’a montré en 2023) et en s’imposant quand il le fallait dans des accords que personne ne pensait possibles. On a fait la preuve que l’on était incontournable… ça sera la même chose cette fois-ci ! 

Ces derniers jours, l’exécutif n’hésite pourtant pas à distiller ses pistes. Comment juges-tu ces interférences ?

On a un agenda social qui a été discuté avec la Première ministre et qui a donné lieu à un document d’orientation. Le périmètre est donc celui-là. Ni plus ni moins. Il n’est pas entendable que des membres du gouvernement, quinze jours après avoir envoyé un document d’orientation, viennent rajouter des thèmes de négociation. Si d’aventure il devait y avoir un thème qui vienne compléter la future loi Travail – qui devra retranscrire intégralement l’accord trouvé –, il doit être présenté aux partenaires sociaux pour qu’ils l’intègrent dans le cadre de négociation. Mais que l’on ne vienne pas phagocyter un travail à peine lancé !

“Ce n’est pas un nouveau contrat de travail qui répondra à l’emploi des seniors.”

Parlons du contenu. Quelles mesures entend porter la CFDT à propos de l’emploi des seniors ?  

On peut imaginer les dispositifs les plus concrets qui soient, ils ne marcheront que si dans les entreprises il y a un changement de politique RH et qu’on inverse enfin la logique actuelle qui revient à faire fuir les seniors le plus rapidement possible. Il faut imposer une obligation de négocier sur l’emploi des seniors dans toutes les entreprises. Mais ce n’est pas un nouveau contrat de travail qui répondra à l’emploi des seniors.  

En revanche, on peut imaginer un temps partiel seniors qui réduise le temps de travail en fin de carrière et, dans une moindre mesure, la rémunération ; mais qui maintienne les cotisations retraite à taux plein. Il est d’ailleurs assez cocasse d’entendre le ministre de l’Économie reprendre à son compte cette proposition que la CFDT portait déjà lors de la concertation retraites, en 2022, et qu’il jugeait alors impraticable. On veut également que chaque salarié puisse bénéficier d’un rendez-vous perspectives professionnelles qui serve de point de départ à la seconde partie de carrière et permette de faire un point complet sur la santé au travail et le parcours du salarié.

Le Cetu est un autre thème de la négociation. Quel cadre veut lui donner la CFDT ? 

Il s’agit d’abord de poser l’acte de naissance du Cetu afin qu’il devienne un nouveau droit pour l’ensemble des travailleurs de ce pays. Donner à chacun la possibilité de mieux gérer son temps en fonction du moment de sa carrière professionnelle serait pour nous une réelle avancée sociale. Une fois actée l’existence du dispositif, il faudra s’assurer qu’il reste à la main du salarié et qu’il soit opposable tout au long de la carrière, pas uniquement à la fin. Nous ne souhaitons pas qu’il soit un outil de pouvoir d’achat, il faudra donc encadrer les possibilités de monétisation. 

L’usure professionnelle sera également abordée dans le cadre de cette négociation. Est-ce à dire que pourrait être refait le match de la pénibilité ?

1. Commissions santé, sécurité et conditions de travail.

On n’abandonnera jamais les quatre critères qui ont été retirés du compte personnel de prévention de la pénibilité. Cela reste une revendication forte de la CFDT. Mais reposer la question en ces termes, c’est prendre le risque de ne rien obtenir en matière de prévention de l’usure professionnelle. Nous allons donc devoir trouver d’autres moyens d’améliorer les conditions de travail, par exemple en demandant l’abaissement du taux de sinistralité ou une meilleure prise en compte des CSSCT1 dans les entreprises.