Cash 40 : la rémunération “démesurée et déconnectée” des dirigeants scrutée par Oxfam

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iconeExtrait de l’hebdo n°3919

Depuis plusieurs années, Oxfam France enquête sur les inégalités salariales dans les entreprises du CAC 40. Sa nouvelle étude, publiée le 30 avril sous le titre “Cash 40 : trop de millions pour quelques hommes”, analyse les rémunérations stratosphériques de leurs dirigeants.

Par Claire Nillus— Publié le 07/05/2024 à 12h00

En décembre 2023, Carlos Tavares (Stellantis) inaugurait l'usine de Saint Fons (Rhône), destinée à la fabrication de piles à hydrogène
En décembre 2023, Carlos Tavares (Stellantis) inaugurait l'usine de Saint Fons (Rhône), destinée à la fabrication de piles à hydrogène©Stephane AUDRAS REA

Pour Alexandre Bompard, le P.-D.G. de Carrefour : 4,54 millions d’euros ; pour Carlos Tavares, le P.-D.G. de Stellantis : 36,5 millions, soit 3,04 millions par mois et 100 000 euros par jour… Même s’ils ne sont pas représentatifs du reste des sociétés françaises, les chiffres donnent le tournis. Ces rémunérations records liées à des bénéfices records surviennent dans un contexte inflationniste – à l’heure où la préoccupation numéro un des Français reste le pouvoir d’achat. Ainsi, en 2023, les entreprises du CAC 40 ont dégagé 153,6 milliards d’euros de bénéfices. Leurs actionnaires, eux, ont touché 97,9 milliards de dividendes. Autant d’argent qui n’est pas reversé aux salariés ni réinvesti dans l’entreprise. « Les richesses produites continuent de croître [dans les entreprises du CAC 40], pourtant cette redistribution des richesses est inéquitable », se désole ainsi Oxfam dans son rapport intitulé « Cash 40 : trop de millions pour quelques hommes ».

Des écarts de salaire indécents

Dans tous ces groupes, les écarts de rémunération entre les dirigeants du CAC 40 et le salaire moyen dans leur entreprise se sont encore un peu plus creusés. Les P.-D.G. du CAC 40 ont ainsi gagné, en moyenne, 130 fois plus que leurs salariés. En 2019, c’était 111 fois plus en moyenne. En 1979, « seulement » 40 fois plus que le Smic, rappelle Oxfam France. Sur le podium des inégalités salariales les plus fortes, on retrouve Teleperformance : son P.-D.G., Daniel Julien, a gagné 1 453 fois plus que le salaire moyen de ses salariés. En deuxième position, Alexandre Bompard (Carrefour) a été payé 426 fois plus, devant Carlos Tavares (Stellantis) avec 341 fois plus. En bas du classement d’Oxfam, le P.-D.G. du Crédit Agricole n’a perçu « que » 39 fois le salaire moyen de ses salariés. Une autre inégalité relevée par Oxfam réside dans le fait que la rémunération moyenne des dirigeants du CAC 40 a augmenté de 27 % entre 2019 et 2022, alors que le salaire moyen dans leur entreprise n’a augmenté que de 9 %, soit trois fois moins.

Un CAC 40 très masculin

« Les rémunérations des patrons du CAC 40 ne sont pas uniquement inégalitaires au regard des salariés qui créent la richesse, mais également les uns par rapport aux autres », souligne aussi le rapport, qui dénonce un univers très masculin. En 2022, il n’y avait que deux femmes à la tête d’une entreprise du CAC 40 : Catherine MacGregor chez Engie et Christel Heydemann chez Orange (Estelle Brachlianoff étant arrivée en cours d’année chez Veolia). En outre, d’après les données issues de la note « Hautes rémunérations » de l’index pour l’égalité professionnelle de 2023, les P.-D.G. hommes de ces grands groupes gagnent 2,4 fois plus que les P.-D.G. femmes, et 8 entreprises du CAC 40 sur 10 n’ont pas plus de 3 femmes parmi leurs 10 employés les mieux payés.

Les actionnaires pour seule stratégie

Sans surprise, la gestion financiarisée de ces entreprises prime puisqu’en moyenne la rémunération totale des dirigeants du CAC 40 est indexée à 51 % sur des critères financiers et à 18 % seulement sur des objectifs extra-financiers (climat, égalité femmes-hommes, lutte contre la corruption…). Parmi ceux-là, la réduction de l’impact climatique ne représente que 7 %. Pour Oxfam France, un tel déséquilibre découle des liens toxiques qui existent entre les actionnaires et les dirigeants : « Le poids décisionnel donné aux détenteurs du capital et le lien trop étroit entre actionnaires et dirigeants expliquent cette priorisation de l’intérêt actionnarial et la rémunération stratosphérique de ces PDG. »

Afin de corriger ce biais financier et court-termiste, l’association émet un certain nombre de recommandations : limiter l’écart maximum de rémunération de 1 à 20 entre le salaire le plus élevé et le salaire médian de l’entreprise, garantir un salaire décent sur l’ensemble de la chaîne de valeur, réduire les écarts de salaire entre les femmes et les hommes, modifier les critères de rémunération extra-financiers ou encore encadrer la part des bénéfices redistribués aux actionnaires. À l’échelle européenne, Oxfam plaide en faveur d’une directive portant sur la gouvernance des entreprises.

1. Résolution du Congrès de Lyon, article 2.2.2, « Partager équitablement les richesses créées dans l’entreprise ».

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

De son côté, la CFDT réaffirme sa volonté1 d’obtenir par la loi un rapport maximal entre les plus hautes et les plus basses rémunérations dans l’entreprise ou dans le groupe. Et revendique des informations plus précises sur les écarts salariaux et les critères de rémunération des équipes dirigeantes. Pour l’ensemble des salariés, une part significative des parts variables devrait désormais être indexée sur la performance sociale et environnementale de l’entreprise… en théorie. La pratique, elle, tarde à venir.