Aux côtés des travailleurs sans papiers

iconeExtrait du magazine n°496

Depuis des années, l’Union départementale CFDT des Yvelines aide des travailleurs sans papiers à obtenir la régularisation de leur situation. Dans les locaux de Trappes (78), Daniel, Jacques et Françoise les accueillent deux fois par semaine sur rendez-vous. Reportage.

Par Sabine Izard— Publié le 29/09/2023 à 09h00

Jacques Mercier, retraité, a rejoint l’équipe des bénévoles de l’UD CFDT des Yvelines en janvier.
Jacques Mercier, retraité, a rejoint l’équipe des bénévoles de l’UD CFDT des Yvelines en janvier.© Emmanuelle Marchadour

« Nous avons deux centres d’accueil dans les Yvelines : un à Trappes, l’autre aux Mureaux », explique Jacques Mercier. Le retraité CFDT a rejoint l’équipe de bénévoles en janvier, « en remplacement de Francis », précise-t-il. À Trappes, les permanents accueillent essentiellement des travailleurs sénégalais, maliens et ivoiriens qui viennent chercher une aide afin de monter un dossier de régularisation par le travail. La plupart sont employés dans la restauration, la propreté ou sur des chantiers.

Beaucoup sont en intérim. Ce jour-là, Jacques a rendez-vous avec Mohamadou. Cet Ivoirien est arrivé en France il y a huit ans. Mohamadou vient pour obtenir un document nécessaire à sa régularisation auprès d’Adecco. Il sait que l’agence d’intérim accepte de garder des travailleurs sans papiers. L’assurance pour lui de ne pas se faire licencier. Mais Mohamadou n’a pas assez travaillé. « Il te manque des heures, lui explique Jacques. La préfecture demande au moins soixante-quinze heures par mois de travail et un demi-Smic, en plus de trois à sept années de présence en France. »

Dans son téléphone, Mohamadou a gardé d’autres bulletins de paye établis par un restaurant parisien. Cette fois-ci, les critères de la préfecture des Yvelines sont remplis, le quota d’heures est atteint et Mohamadou y travaille depuis le 1er septembre 2022. « Viens au prochain rendez-vous avec tes bulletins de paye des douze derniers mois imprimés. La préfecture veut que tous les documents soient imprimés », insiste Jacques.

Un système ubuesque

1. Circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. (NOR : INT/K/12/29185/C)

En France, la régularisation de travailleurs sans papiers tombe sous le régime de la circulaire Valls 1 de 2012. Un texte discrétionnaire, analysé par le Conseil d’État comme un simple mode d’emploi pour les préfectures. Le système français est ubuesque. Les personnes doivent justifier de leur présence sur le territoire français depuis au moins trois ans pour pouvoir être régularisées par le biais du travail.

“C’est à double tranchant. Certains travaillent sous une fausse identité depuis des années. Ça peut braquer. L’employeur peut refuser. C’est un moyen de pression sur ces travailleurs ”

Jacques Mercier, militant retraité CFDT, bénévole à l'UD de Trappes.

Samba est arrivé en France en 2019 : « Au début, je faisais des petits boulots », explique-t-il. En mars 2021, il décroche son premier contrat auprès d’une entreprise spécialisée dans l’installation, la maintenance et la réparation de structures métalliques… mais sous une fausse identité. « Je ne pouvais pas faire autrement, sinon je n’avais pas de travail. Je ne voulais pas travailler au noir. Je voulais payer des impôts en France », précise le jeune homme.

Aujourd’hui, il vient pour que Jacques l’aide à rédiger un courrier de demande de concordance par laquelle l’employeur reconnaît qu’il remplit son emploi sous une autre identité. « Je ne sais pas s’il va accepter », confie-t-il, inquiet. « C’est à double tranchant, reconnaît Jacques. Certains travaillent sous une fausse identité depuis des années. Ça peut braquer. L’employeur peut refuser. C’est un moyen de pression sur ces travailleurs », poursuit le bénévole.

Daniel Richter, bénévole à l'UD CFDT de Trappes, est une
figure historique du militantisme en faveur des travailleurs sans papiers. Deux cents dossiers sont présentés chaque année par la CFDT des Yvelines, mais ce travail devient de plus en plus ardu.
Daniel Richter, bénévole à l'UD CFDT de Trappes, est une figure historique du militantisme en faveur des travailleurs sans papiers. Deux cents dossiers sont présentés chaque année par la CFDT des Yvelines, mais ce travail devient de plus en plus ardu.© Emmanuelle Marchadour

« C’est de la maltraitance »

Figure historique du militantisme en faveur des travailleurs sans papiers, Daniel obtient en 2008, avec d’autres militants CFDT, une voie « collective » de régularisation par le travail dans le département des Yvelines. Dans le circuit classique, explique Daniel, bien que la circulaire Valls prévoie que le contrat de travail peut continuer pendant l’instruction du dossier, la préfecture remet à la personne un récépissé sans autorisation de travail. «Elle maintient alors le salarié dans une position difficile le temps que son dossier soit étudié, explique le militant. Dans les Yvelines, nous avons obtenu de la préfecture qu’elle fournisse un récépissé avec autorisation de travailler, pour un nombre limité de salariés par mois, poursuit-il. Mais, aujourd’hui, le système se retourne contre nous. Les demandes sont de plus en plus nombreuses dans le département. De ce fait, la préfecture durcit ses règles et multiplie les contrôles, notamment sur les hébergements. » 

Lamine
Lamine© Emmanuelle Marchadour

2. Entre-temps, le jeune homme a fini par recevoir son titre de séjour salarié.

Lamine (photo ci-dessus), lui, ne peut retenir ses larmes lorsque Jacques lui annonce que son employeur, l’entreprise de nettoyage Atalian, n’a toujours pas envoyé son certificat. « Il m’a dit qu’il l’avait fait le 22 juin. » Son autorisation temporaire de travail a expiré il y a une semaine ; depuis, Lamine vit la peur au ventre, épuisé par la machine administrative que la France lui impose pour pouvoir travailler2. « C’est de la maltraitance », reconnaît Daniel Richter. « Il faut compter quatre cent cinquante et un jours entre le moment où la préfecture nous dit que le dossier est complet et l’obtention du titre de séjour. »

 

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Rédactrice

À Paris, ce sont entre 50 et 60 dossiers présentés chaque année par la CFDT ; dans les Yvelines, c’est environ 200, mais cela devient de plus en plus ardu. « Nous n’avons plus le temps de parler avec les personnes », déplore de son côté Françoise Lautier, ancienne éducatrice spécialisée et bénévole pour la Ligue des droits de l’Homme. « Les permanences sont pleines jusqu’en septembre et nous ne sommes que trois bénévoles, même si des travailleurs sans papiers viennent parfois nous donner un coup de main, reconnaît Daniel. Il faudrait que l’on soit plus nombreux pour pouvoir mieux nous organiser ! » L’Union territoriale CFDT du Sud francilien a mis en place une formation qui commence à porter ses fruits…