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Extrait de l’hebdo n°3860
À la suite du passage aux 1 607 heures et de la disparition d’avantages dont disposaient les agents de la commune de Bourbon-Lancy, la CFDT a négocié pendant un an des contreparties. Une première.

« Négocier dans la fonction publique, c’est possible ! » Sandrine Lenoir, Olivier Perrot et Nicolas Perisse ont le sourire. Attablés dans le local mis à la disposition de la CFDT, ces trois agents territoriaux et élus au comité social territorial (CST) de la mairie de Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire) parlent de ce qu’ils viennent de vivre : leur toute première négociation avec leur employeur.
La colère des agents
À l’origine, il y a l’application de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, laquelle a harmonisé au 1er janvier 2022 le temps de travail dans les collectivités territoriales en mettant fin aux régimes dérogatoires à la durée légale du temps de travail qui pouvaient exister. Tous les agents sont tenus de travailler 1 607 heures par an, soit 35 heures par semaine, avec vingt-cinq jours de congés annuels (cinq semaines).
À Bourbon-Lancy comme dans nombre de collectivités, cette nouvelle réglementation s’est traduite par la perte de jours de congés. « Avant les 1 607 heures, nous avions une sixième semaine de congés payés, deux journées du maire et un congé d’ancienneté d’un jour par an cumulable sur cinq ans. Au total, les agents ont perdu jusqu’à douze jours par année. Ce qui a eu du mal à passer… », se souvient Sandrine Lenoir. « Il y avait beaucoup d’inquiétude parmi les agents, de l’amertume de voir leur durée de travail augmenter sans pour autant gagner plus », abonde Nicolas Perisse, par ailleurs responsable du service éducation, jeunesse et sports.
Cette colère s’est révélée d’autant plus grande que, quelques mois avant la mise en place de la nouvelle organisation du temps de travail, un cabinet de conseil a été sollicité par la municipalité. « Ce n’était pas clair ; les échanges n’avaient lieu que par téléphone, ça manquait de transparence », poursuit Nicolas. Olivier, responsable des services techniques, abonde : « Ce cabinet voulait emmener les élus municipaux vers un système directif, sans dialogue. » La présentation des préconisations a fait croître le mécontentement. « Nous avons été pris de haut, il y avait beaucoup de mépris. Nous avons demandé à ne plus travailler avec ce cabinet, les préconisations n’ont pas été appliquées. Il n’était pas possible que les propositions ne soient pas en phase avec les demandes des agents », poursuit Sandrine.
Un questionnaire devenu cahier revendicatif
1. Heure mensuelle d’information.
1. Ordonnance du 17 février 2021, complétée par un décret du 7 juillet 2021.
Les élus CFDT (seule organisation syndicale représentée dans cette collectivité) décident donc de prendre les choses en main. « Nous avons formulé un questionnaire et nous sommes allés de service en service pour que les agents expriment leurs souhaits. Nous avons aussi fait une HMI1 avec les agents pour la toute première fois, et nous avons voté une journée de grève si des négociations ne s’ouvraient pas », raconte l’élue. Les réponses au questionnaire se transforment en un cahier revendicatif. Le Syndicat CFDT Interco de Saône-et-Loire vient soutenir la démarche. La municipalité finit par accepter d’ouvrir une négociation, une possibilité récemment mise en œuvre dans les fonctions publiques1.
2. Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel.
Un accord de méthode est mis sur la table avec des dates butoirs. « Et l’on a formé des groupes de travail en dehors du CST avec les agents intéressés par le fait de travailler sur ces questions », précise Sandrine, qui a conduit la négociation. La CFDT milite pour l’aménagement des 1 607 heures et la mise en place du Rifseep2, mais aussi pour mettre en place un plan de formation et revoir le règlement intérieur. « Une grosse charge de travail, précise l’élue. On a un peu ramé au début. Mais on n’a rien lâché, et nous avons tenu le calendrier. On a travaillé les documents, demandé l’avis d’autres collègues. » Olivier ajoute : « On a été fins stratèges, nous connaissons bien nos élus, ils ont dit oui à presque tout ce que nous avons proposé. »
D’importantes contreparties
Les acquis pour les 120 agents de la collectivité sont loin d’être négligeables. Concernant les congés, si la sixième semaine et les deux journées du maire restent supprimées, le temps de travail hebdomadaire est augmenté pour qu’il soit possible d’obtenir des RTT. Les congés d’ancienneté seront rémunérés, et ils pourront en avoir jusqu’à cinq au bout de quatre ans, contre cinq ans auparavant. En ce qui concerne la partie fixe du régime indemnitaire (indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise [IFSE]), les élus CFDT ont obtenu que chaque agent, selon ses tâches et sa fiche de poste, dispose d’un certain nombre de points attachés à sa fonction. Chaque mois, une prime est calculée selon le nombre de points, une valeur unique du point ayant été définie.
« Nous avons essayé d’être équitables. Tous les agents toucheront quelque chose, au minimum 50 euros par mois », souligne les élus. En effet, jusqu’à présent, trente-quatre agents ne touchaient pas la partie fixe du régime indemnitaire. Les militants CFDT ont aussi négocié afin de mettre en place une partie variable du complément indemnitaire annuel (CIA) ; son attribution se fera en lien avec l’entretien individuel annuel, selon des critères établis par l’employeur. Ce qui ne satisfait pas l’équipe des élus du personnel : « Le directeur général des services et la maire ont voulu avoir le dernier mot. C’est aussi ça, la négociation… »
La prise en charge des frais de garde
Les acquis en faveur de la formation des agents ont été, pour les élus CFDT, « la belle surprise ». Les frais de repas sont mieux remboursés, la prise en charge du déplacement se fait dès le premier kilomètre et une journée de formation compte pour une journée de travail planifié, avec 50 % du temps de trajet comptabilisé comme temps de travail. Pour celles et ceux qui ont des enfants et sont en formation, l’employeur prendra en charge leur repas du midi ainsi que les frais de garderie ou de crèche. « Ici, on est loin de tout », rappelle Nicolas. « Aller à Dijon ou Mâcon pour se former, c’est tout de suite, au minimum, quatre heures de trajet dans la journée. La collectivité ne prenait rien en charge, et personne ne se formait. Les collègues sont donc très contents de ces nouveaux acquis. »
Les résultats de la négociation ont été validés par le conseil municipal au début décembre 2022 et sont désormais tous en vigueur depuis le 1er janvier 2023. « On a fait une tournée des services pour expliquer ce qu’on a négocié. Les réactions ont été positives. C’est la première fois que l’on a des remerciements de la part de nos collègues », sourit Sandrine, qui remarque que l’heure d’information a contribué à souder les personnes présentes. D’ailleurs, 61 % des agents ont voté pour la liste CFDT aux élections de décembre 2022, en progression de 5 % par rapport à 2018. « Au comité social territorial, on représente presque tous les services, souligne Olivier. On est proches de nos collègues et on n’oublie personne. » Les militants CFDT en ont clairement fait la démonstration.