Extrait du magazine n°517
Figure du petit écran, cette médecin a présenté « Le Magazine de la santé » sur France 5 pendant vingt-six ans
avec chaleur, bonne humeur et une extrême rigueur. Aujourd’hui sur France Culture, elle poursuit son engagement au service d’une information santé de qualité.

Pourquoi vous êtes-vous tournée vers la médecine puis le journalisme ?
J’ai eu mon bac très jeune, à 16 ans. Je ne savais pas quoi faire. J’ai commencé des études de mathématiques mais, au bout de quinze jours, j’ai cru que j’allais mourir. J’ai bifurqué en médecine, « pour voir ». C’étaient les seules études que personne n’avait faites dans ma famille… Finalement, j’ai eu mon année du premier coup et j’ai décidé de poursuivre. Cela m’a passionnée mais je me suis très vite rendu compte que l’exercice médical n’était pas fait pour moi. J’étais beaucoup trop angoissée. Je craignais de me tromper, de faire du mal aux patients. Je faisais vérifi er chacun de mes diagnostics. Ce n’était pas tenable, ni pour moi, ni pour mes collègues, ni pour les patients. Le journalisme est apparu comme la solution pour faire de la médecine diff éremment.
Vous avez animé « Le Magazine de la santé », une émission quotidienne sur France 5, pendant vingt-six ans. Aujourd’hui, vous animez « Carnets de santé » sur France Culture, une émission radiophonique hebdomadaire. S’il s’agit de deux formats très différents, on constate la même approche scientifique, la même rigueur. Est-ce votre marque de fabrique ?
Je travaille énormément mes interviews et je lis toute la littérature scientifi que pour pouvoir dialoguer avec les médecins et les chercheurs que je reçois. Mais ce qui est fondamental pour moi, c’est le respect du patient. Pendant toutes ces années, j’ai gardé à l’esprit qu’il y avait derrière le poste de télévision des patients potentiels et des familles de patients. J’ai donc toujours fait extrêmement attention à ce que je disais, à la façon dont je le disais. Toutes les informations étaient vérifiées. Et si on n’avait pas le temps de le faire, on ne les diffotenusait pas. Pendant une heure et demie, on s’installe dans le salon des gens, c’est une très grande responsabilité.
Certaines personnes sont fragiles, malades, parfois seules. On ne peut pas se permettre de leur donner de faux espoirs ou, au contraire, de les paniquer avec des rumeurs ou des raccourcis malheureux.
Être un médecin médiatique, c’est unelourde responsabilité ?
Notre responsabilité est de lutter contre les théories complotistes et les fake news tout en restant à l’écoute des patients. Le cas du professeur Didier Raoult a été particulièrement intéressant. Je le connaissais avant le Covid. C’était un chercheur reconnu qui était déjà venu sur notre plateau. Quand il acommencé à affirmer que son traitement à la chloroquine fonctionnait, les gens y ont cru. Cela suscitait tellement d’espoir. Même le président de la République est allé le voir à Marseille.
Pour ma part, j’ai toujours refusé de le recevoir dans l’émission à cette époque car sa théorie n’était pas validée scientifiquement. Il n’y avait pas le recul nécessaire. Bien entendu, cela ne nous a pas empêchés de parler très régulièrement de la chloroquine dans l’émission – comme de tous les traitements qui émergeaient – en disant ce qui était vrai, ce qui n’était pas vrai, ce que l’on savait aujourd’hui, ce que l’on saurait peut-être demain mais que l’on ne savait pas encore…
La période Covid a dû être particulièrement marquante…
Nous avions une responsabilité énorme, d’autant plus que la demande d’information était colossale. À partir du confinement, toutes les émissions ont été entièrement consacrées au Covid. On ne s’est pas arrêté une seule journée. On avait fait deux choix. Le premier choix était de n’inviter sur notre plateau que des médecins qui avaient « les mains dans le cambouis » : réanimateurs, infectiologues, urgentistes, chercheurs en virologie, etc.
Ces professionnels étaient capables de dire qu’ils doutaient, que ce qu’ils disaient un jour pourrait être différent le lendemain. Le second choix a consisté à être tous les jours au contact des malades. Nous avons tenu cette ligne pendant les trois mois les plus importants de la crise.
À l’époque, certaines chaînes demandaient à des chanteurs, sportifs ou acteurs de donner leur avis. Certains Prix Nobel se sont même exprimés en dehors de leur champ de compétences. Des économistes se permettaient de donner leur avis sur la potentialité d’une deuxième vague. Ce n’était pas responsable vis-à-vis des Français.
Quel regard portez-vous sur l’information en matière de santé à la télévision ?
On parle de santé un peu partout, à la télé, la radio, sur les réseaux sociaux, mais je pense que les médias doivent se renforcer en matière de compétences scientifiques. C’est absolument indispensable pour que le
débat médiatique soit le plus proche possible du débat scientifi que. En santé, on ne peut pas se permettre d’approximation ; je ne parle pas d’erreur mais bien d’approximation parce que les conséquences sont quand même trop grandes. Il y a encore trop de gens qui s’expriment sur des sujets dont ils ne sont pas spécialistes, en santé comme dans beaucoup d’autres domaines, d’ailleurs.
Parmi tous vos engagements, le droit à mourir dans la dignité vous tient particulièrement à coeur…
Je pense qu’aucune personne, pas même un médecin, ne peut décider à la place d’un patient s’il doit continuer à vivre ou non, si la douleur est supportable ou non. C’est au patient de faire son choix, c’est son corps. Il faut apprendre à ne pas juger. Ce que veulent les patients, c’est avoir la certitude d’être accompagnés quand ils décideront qu’il est temps de partir. C’est vraiment cette assurance qui les apaise et leur permet de faire leur choix en toute sérénité. Si elle va à son terme, la loi en préparation devrait améliorer la situation, mais j’estime qu’elle ne va pas assez loin. En tout cas, aujourd’hui, ce n’est pas digne de notre pays que des patients continuent – quand ils en ont les moyens familiaux, sociétaux et financiers – de se rendre en Belgique pour y mourir dignement. Le combat n’est pas terminé.
Vous avez toujours travaillé pour des médias de service public. Est-ce un hasard, un choix ?
C’est une volonté. Le service public, pour moi, c’est vraiment une façon de pouvoir m’adresser à tout le monde, en toute liberté et en toute indépendance. Je suis une enfant du service public. Je suis allée à l’école publique, mes enfants sont allés à l’école publique. J’y tenais, même si je suis consciente d’être privilégiée et d’habiter dans des quartiers où ce choix n’a pas été difficile.
Et, évidemment, j’éprouve un très fort attachement à nos hôpitaux publics. Que vous soyez riche ou pauvre, on soigne un infarctus de la même manière. Je suis très fière de cela, c’est rarissime. Malheureusement, il faut bien reconnaître que l’hôpital est en crise. Les moyens ne sont plus là. Il faut absolument trouver une solution parce que l’on a un des plus beaux services publics du monde en médecine. Il faut que ça perdure, vraiment !
Parcours
1961
Naissance à Paris dans une famille qui deviendra illustre. Sa mère, Hélène Carrère d’Encausse, spécialiste de l’histoire russe, a été élue à l’Académie française en 1990. Son frère aîné, Emmanuel Carrère, est un écrivain célèbre.
1992
Première apparition à la télévision, sur Antenne 2.
2000
Présentation du « Magazine de la santé » sur France 5, en duo avec un autre médecin, Michel Cymes, qui deviendra lui aussi une star.
2014
Premier roman, Une femme blessée, aux éditions Anne Carrière.
2024
Quitte « Le Magazine de la santé » sur France 5 en mai mais continue de présenter
l’émission « Enquête de santé » sur la même chaîne. Présente, depuis septembre 2024, « Carnets de santé » le samedi midi sur France Culture.