Extrait du magazine n°495
Depuis sa création, la Confédération européenne des syndicats (CES) se bat pour une Europe plus sociale. Une mission exigeante, qui a connu des hauts et des bas… à l’image de la construction européenne. Si le dialogue social a de nouveau le vent en poupe à Bruxelles, les prochaines élections européennes, en juin 2024, seront cruciales pour son avenir.

1973-2023. Il y a cinquante ans tout juste naissait la Confédération européenne des syndicats (CES) avec une idée forte : réunir l’ensemble des organisations syndicales sous une même bannière à l’échelle du continent. Un pari réussi au-delà des espérances. En France, Force ouvrière est membre fondateur, la CFDT y adhère en 1974 et la CGT finira par la rejoindre en 1999. L’Unsa et la CFTC en sont aussi membres.
Aujourd’hui, la CES regroupe 93 organisations membres issues de 41 pays européens ainsi que 10 fédérations syndicales. Elle est reconnue par l’Union européenne et le Conseil de l’Europe comme seule organisation syndicale interprofessionnelle européenne représentative. « La force de la CES, c’est qu’elle parle au nom de 45 millions de travailleurs. Bien peu d’organisations peuvent revendiquer autant d’adhérents. Et certainement pas les partis politiques », souligne malicieusement Christophe Degryse, chercheur à l’Institut syndical européen.
Cette place centrale acquise par la CES à Bruxelles n’était pas une évidence au départ. Le patronat européen ne souhaitait surtout pas un dialogue social à l’échelle européenne, et l’année 1973 restera comme celle du premier choc pétrolier. Les Trente Glorieuses s’achèvent et disparaît avec elles une certaine idée du progrès social. Le chômage explose et le monde bascule progressivement dans un libéralisme tout-puissant. Il n’est plus question de renforcer les protections des travailleurs mais bien de comprimer les coûts pour gagner en compétitivité. À l’époque, la CES se retrouve de plus en plus en porte-à-faux vis-à-vis des politiques européennes, et finit même par rompre le dialogue à la fin des années 1970 avec les institutions européennes, accusées de promouvoir des recettes de plus en plus libérales.
L’âge d’or du dialogue social européen
Cette crise prendra fin avec l’arrivée de Jacques Delors à la tête de la Commission, en 1985. Ce social-démocrate convaincu, fidèle adhérent de la CFDT, va faire du dialogue social européen une priorité dès son arrivée à Bruxelles. Son idée est de créer un grand marché unique avec une dimension sociale. Pour y parvenir, il parvient à mettre la pression sur le patronat afin de le contraindre à engager des discussions. L’embryon d’un dialogue à trois (Commission / CES / patronat) s’installe et demeurera pour de bon.
La place de la CFDT est, à cette époque, centrale au sein de la CES. Depuis le premier congrès de Londres, en 1976, elle occupe une place au secrétariat, où elle jouit d’une influence bien supérieure à son nombre d’adhérents. « Nous avions des liens naturels avec Jacques Delors. On peut dire qu’on a connu un âge d’or », explique Jean Lapeyre, qui siégea à la CES au nom de la CFDT de 1986 à 1991, comme secrétaire confédéral, puis secrétaire général adjoint de 1991 à 2003.
L’idylle prend fin avec la Commission Barroso en 2004. Pendant dix ans, le dialogue social se glace à Bruxelles. L’heure est au néolibéralisme à tous crins. La Commission européenne n’impulse aucune dynamique, bien au contraire. Seuls les concepts de compétitivité et de concurrence libre et non faussée ont droit de cité. De son côté, la CES dénonce les politiques d’austérité qui se multiplient dans les États membres. Il faudra attendre la Commission Juncker (2014-2019) puis celle d’Ursula von der Leyen pour qu’une nouvelle dynamique s’installe.
Une belle effervescence
Adopté en 2017, le socle européen des droits sociaux fait figure de tournant. Le social redevient une priorité et les projets de directives se multiplient. L’adoption d’une directive sur le salaire minimum légal en Europe en 2022 était quelque chose d’inimaginable quelques années plus tôt. Mais on peut aussi parler de tout ce qui a été fait sur le temps de travail, le congé parental ou l’égalité entre les femmes et les hommes. Reste encore à embarquer le patronat, en retrait de ce mouvement. « C’est le maillon faible, insiste Jean Lapeyre. Les organisations syndicales ont pu s’appuyer sur les députés européens pour faire avancer la législation, mais on ne peut pas dire qu’il y ait un véritable dialogue autonome constructif avec BusinessEurope [association patronale]. »
Quid alors de cette dynamique avec le nouveau Parlement qui sortira des élections de juin 2024 ? Avec la montée des populismes, la question se pose. La CES et, par conséquent, le dialogue social européen pourraient connaître une nouvelle période difficile. À 50 ans, la CES a de grands défis à relever. Impossible de baisser la garde. Une extrême vigilance s’impose !