2023, année noire pour les mal-logés

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iconeExtrait de l’hebdo n°3906

La crise du logement s’accélère de manière très inquiétante, alerte le 29e rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France. Nouvelles populations, nouveaux territoires, nouvelles problématiques… : partout, les appels se multiplient.

Par Claire Nillus— Publié le 06/02/2024 à 13h00

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© Martin Barzilai/Haytham/RÉA

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! »

Soixante-dix ans tout juste après cet appel de l’abbé Pierre à la radio pour interpeller les pouvoirs publics, la pauvreté est toujours là, toujours inacceptable : le 29e rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France présenté ce 1er février 2024 rappelle de nouveau aux politiques la nécessité d’agir. « Les crises s’enchaînent et la dernière, l’inflation, a fait basculer beaucoup de personnes dans la précarité pour quelques euros manquants », alerte Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. « La bombe sociale a explosé, 2023 est l’année des tristes records des chiffres du mal-logement. »

Des indicateurs dans le rouge

Dans ce 29e rapport de 300 pages, la grande majorité des indicateurs sont dans le rouge : baisse de la construction de logements neufs et de logements sociaux, baisse des APL (soit 4 milliards d’euros d’économie pour l’État), augmentation des expulsions locatives et des démembrements de bidonvilles, niveau inégalé de la demande de logements sociaux, précarité énergétique persistante avec 25 % de la population qui a froid l’hiver dans son logement. Derrière les façades, les habitats indignes affectent plus de 1,5 million de personnes (évaluation basse) alors que l’on dénombre seulement 14 000 arrêtés d’insalubrité engagés en 2023 et 114 condamnations pénales visant des marchands de sommeil… À cela il faut ajouter, notamment, le coût de l’électricité (plus 42 % en deux ans) et l’explosion des impayés de charges qui condamnent les logements à une dégradation certaine.

Il n’y a pas non plus assez de solutions d’hébergement d’urgence, dénoncent les associations, qui ont comptabilisé 4 600 personnes sans abri le 15 janvier à Paris. Le réseau « Jamais sans toit » a également recensé 3 000 enfants à la rue au mois d’octobre dernier. C’est enfin avec consternation qu’a été entendue l’annonce de Gabriel Attal relative à la loi SRU (loi Solidarité et renouvellement urbain) visant à intégrer dans le décompte des logements sociaux imposé aux communes un quota de logements intermédiaires : une véritable provocation, sachant que seuls 3 % des ménages en attente de logement social sont, compte tenu de leurs ressources, éligibles au logement intermédiaire.

« Avec le recul des mécanismes de protection sociale (réformes de l’assurance chômage, conditionnalité du RSA à quinze heures d’activité), la loi immigration et le discours nauséabond qui a accompagné son vote, les plus fragiles sont de plus en plus stigmatisés, et l’ensemble de la société ne sortira pas indemne de ces dérives », poursuit Christophe Robert.

“On ne vous lâchera pas”

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Comment atteindre les 330 000 places de mises à l’abri évoquées par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires ? Comment vont-elles se déployer concrètement sur le terrain ? La Fondation Abbé Pierre demande l’amélioration du plan Logement d’abord, la poursuite du dispositif d’encadrement des loyers et attend aussi des avancées de la proposition de loi pour réguler airbnb. Résorber le mal-logement passe également par une revalorisation du chèque énergie et l’arrêt des coupures d’électricité, à l’instar de ce que la Fondation a obtenu de la part d’EDF : « Nous allons continuer à travailler avec les autres acteurs pour faire cesser ces pratiques », assure le délégué général.

« Un rapport, certes, ça ne suffit pas, mais le pire serait que tout cela se fasse à bas bruit ! Donc, on ne vous lâchera pas, on avancera grâce à la mobilisation collective, en étant encore plus solidaires aux côtés des associations qui se mobilisent avec nous et au sein du Pacte du pouvoir de vivre », a-t-il garanti. Comme lors de l’appel de l’abbé Pierre et ce moment inédit que l’on a appelé l’insurrection de la bonté, il est encore possible de rêver à un monde meilleur.