Face aux récentes émeutes, sortir de la vision simpliste

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iconeExtrait de l’hebdo n°3893

Près de quatre mois après les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, une table ronde réunissant des acteurs de terrain est revenue sur les causes profondes d’une crise sociale, sécuritaire, politique et éducative, loin des analyses abruptes et tronquées.

Par Nicolas Ballot— Publié le 24/10/2023 à 12h00

Sur l’estrade, de gauche à droite : Jean-Louis Marsac, maire de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) ; Martine Fourier, présidente de l’association Cerise (sise à Nanterre, Hauts-de-Seine) ; Marco Oberti, professeur des universités en sociologie ; Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT ; Christophe Dague, secrétaire confédéral chargé du Pacte du pouvoir de vivre.
Sur l’estrade, de gauche à droite : Jean-Louis Marsac, maire de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) ; Martine Fourier, présidente de l’association Cerise (sise à Nanterre, Hauts-de-Seine) ; Marco Oberti, professeur des universités en sociologie ; Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT ; Christophe Dague, secrétaire confédéral chargé du Pacte du pouvoir de vivre.© Syndheb

Entre le 27 juin et 4 juillet 2023, plusieurs villes de France ont été le théâtre d’émeutes déclenchées à la suite de la mort du jeune Nahel M., tué par le tir d’un policier lors d’un contrôle d’identité – séquence vidéo filmée et diffusée le jour même sur les réseaux sociaux. Alors que les réponses politiques n’ont pas été à la hauteur du dramatique événement, certains dénonçant pêle-mêle les réseaux sociaux et l’absence d’autorité des parents – à l’image d’un CNR « émeutes » pour le moins improvisé –, une table ronde organisée à l’occasion du dernier Conseil national confédéral (CNC) a dressé une première analyse d’un phénomène plus complexe que ce qu’il donne à voir de prime abord.

2023 n’est pas 2005

Si les émeutes de 2023 et celles de 2005 ont le même point de départ, il existe entre elles une différence majeure, résume Marco Oberti, professeur de sociologie à SciencesPo, spécialiste des classes sociales et des inégalités urbaines et scolaires : « La diffusion des images quasi instantanément sur les réseaux sociaux a tout de suite mis à mal la thèse des policiers. De plus, les réseaux sociaux ont servi aux émeutiers pour s’organiser. »

Marco Oberti distingue deux temps lors des émeutes de 2023. Le premier temps, celui de « l’émotion », a vu s’impliquer un public très large dans les banlieues des grandes métropoles, lequel a concentré ses attaques sur les biens publics. Le second temps, lui, a vu la violence gagner les petites et moyennes villes, où sont fortement impliqués les Gilets jaunes, et les dégradations se transformer en pillages. Ainsi, le sociologue, en s’appuyant sur des analyses de cartes, pointe « la ségrégation résidentielle et scolaire » comme un élément central du déclenchement des émeutes. La présence d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) multiplie par six le risque d’émeutes, alors que le taux de pauvreté n’apparaît pas significatif en matière de passage à l’acte.

Une perte de confiance à l’égard des politiques publiques

1. Elle mène des actions d’aide aux devoirs, d’accès à la culture, d’émancipation et de soutien aux personnes défavorisées à Nanterre.

De son côté, Martine Fourier, présidente de l’association Cerise1, insiste sur la défiance des habitants des quartiers pauvres vis-à-vis des institutions publiques, notamment les forces de l’ordre. Un constat partagé par Jean-Louis Marsac, maire de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise : Île-de-France) : « En tant qu’élu, il m’était impossible de sortir pendant les émeutes de 2023, et encore moins d’endosser le rôle de médiateur – alors que ç’avait été le cas 2005. »

La violence des dégradations et la terreur (pour reprendre le mot de Martine Fourier) qu’elles ont engendrée chez nombre d’habitants sont des symptômes de la « baisse du degré d’acceptation de la mixité sociale dans la population française, confirme Marco Oberti. Plus aucune politique publique ne semble pouvoir enrayer ce mouvement ». L’expérience du terrain de Jean-Louis Marsac lui fait adopter la même conclusion : « Les habitants qui arrivent dans les quartiers sont encore plus pauvres que ceux, déjà pauvres, qui les quittent. Et si on ajoute à cela le manque de services publics, en particulier d’enseignants, cela contribue au sentiment de relégation, voire d’humiliation des habitants. »

Le temps de l’action visant à contrer l’extrême droite

À propos de l'auteur

Nicolas Ballot
rédacteur en chef de Syndicalisme Hebdo et de CFDT Magazine

Ces échanges conduisent à un constat, rappelait en conclusion la secrétaire nationale de la CFDT Jocelyne Cabanal : « Après le temps de l’indignation et de la condamnation des violences, la CFDT se doit d’agir avec d’autres pour ne pas laisser l’extrême droite et ses idées simplistes et dangereuses prospérer sur ce mal-être social. »