Parlons travail !

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iconeExtrait de l’hebdo n°3874

Le dernier livre de Laurent Berger explore la question du travail et appelle à l’action pour que le mépris ressenti aujourd’hui par les salariés ne se transforme en une colère « mortifère pour la société ». À retrouver dans toutes les bonnes librairies le 19 mai.

Par Jérôme Citron— Publié le 16/05/2023 à 12h00

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@DR

1. .Du mépris à la colère. Essai sur la France au travail, Laurent Berger, Seuil, 138 p., 12 euros

Du mépris à la colère1, le nouveau livre de Laurent Berger est un essai sur le travail, ce sujet si mal traité dans le débat public. Un essai sur le quotidien des salariés qui aspirent à davantage de reconnaissance professionnelle, davantage d’autonomie pour pouvoir bien faire leur travail. Un essai riche des milliers de rencontres avec les salariés, partout en France, dans tous les milieux professionnels. « Je ne suis ni sociologue, ni économiste, ni futurologue : je livre ici mon expérience et mon analyse de syndicaliste – celles des onze dernières années, et celles des derniers mois, brûlants au cours desquels ce texte a pris forme », explique-t-il en introduction.

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

Alors que nous rentrons dans « le monde d’après Covid », que le rapport au travail s’est profondément transformé, le secrétaire général de la première organisation syndicale de France appelle partenaires sociaux et politiques à se confronter au réel pour apporter des solutions. Un message à l’image de Laurent Berger : concret, proche du terrain et toujours dans la construction. Ne rien faire pour ce militant de toujours reviendrait à « nourrir le sentiment de mépris ou d’abandon que l’on a entendu d’exprimer dans les cortèges hostiles à la réforme des retraites, et qui pourrait se transformer en une colère mortifère pour la société ».

QUELQUES EXTRAITS

Un impensé politique
« Sur le plan politique, le travail est à la fois ce qui est le moins pensé, et ce qui est le plus exploité. Pour caricaturer, on pourrait dire qu’on a d’un côté la version “de toute façon, il faut en baver, c’est comme ça, la vie, c’est travailler et participer à la charge productive”, et de l’autre “le travail, c’est horrible, c’est la misère”. Le travail est donc décrit soit comme une contribution imposée et nécessaire à une charge collective, soit comme un fardeau. Dans les deux cas, on ne parle pas des femmes et des hommes qui l’exercent. »

Le mépris
« Quand on néglige les femmes et les hommes, on manque les indicateurs fondamentaux. C’est vrai dans le travail, c’est vrai dans la vie en général. Car le mépris commence ici : avec des cadences qui détruisent les corps et les esprits. En niant l’intelligence, l’expertise des salariés sur leur travail, l’intensification a abîmé la notion fondamentale de fierté du travail bien fait. »

Une nouvelle répartition des richesses
« Sans être exagérément utopiste, je crois qu’on peut bâtir du bonheur, une société plus solidaire, plus fraternelle et plus juste, sans faire table rase, sans repartir de zéro. Mais il faut poser de nouveaux marqueurs. L’un d’eux est fondamental, c’est la répartition de la richesse, aux salariés, mais aussi à toute la société. […] Quand on confie nos enfants et nos anciens, c’est-à-dire les personnes qui comptent le plus pour nous, à des salariés qu’on paie très peu, on nie leurs qualifications et leurs compétences. Cela pose un problème de salaire, de pouvoir de vivre, accentuant le sentiment d’invisibilité des métiers non reconnus, et créant pour les métiers anciennement reconnus un effet de déclassement terrible, et donc de mal-être au travail. »

Le mouvement des retraites
« Comment imaginer aujourd’hui que les choses reprennent comme si de rien n’était ? Bien sûr, le monde ne va pas s’arrêter de tourner. Mais la vie, dans le monde du travail, aura été changée non seulement par la réforme, mais également par la démonstration de la surdité de l’exécutif aux revendications d’une majorité inouïe d’actifs, et le ressentiment qui en est né de va pas se dissiper. Il n’est pas seulement question de travailler deux ans de plus, mais de travailler deux ans de plus dans ces conditions. Syndicalement, la période qui s’annonce est un défi. Au-delà de l’amertume, nous devrons continuer à construire du commun, du progrès, de l’espoir. »