« Le problème numéro un, c’est la sous-traitance des risques »

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Un statu quo insupportable

Samir Bairi est coordinateur européen CFDT du groupe Eiffage.

Par Claire Nillus— Publié le 27/10/2023 à 09h00 et mis à jour le 27/10/2023 à 09h00

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Comment la sécurité est-elle prise en compte syndicalement ?

La sécurité est notre préoccupation permanente, nous travaillons en continu sur des sujets de prévention. Nous avons obtenu un échauffement obligatoire de dix minutes tous les matins avant le démarrage du chantier, des séances d’ostéopathie payées par l’employeur dans certains établissements, une formation chaque semaine – le « quart d’heure sécurité » par l’encadrant et un préventeur –, des aménagements en cas de fortes chaleurs, etc. Tout est consigné dans un livret d’accueil, enrichi à chaque nouvel événement avec l’analyse des causes. À notre demande, la direction diffuse aussi à l’ensemble des établissements un « flash accident » qui relate les cas afin de pouvoir traiter la question avec les équipes et éviter que cela se reproduise. Nous avons également un accord sur les risques psychosociaux et des formations de reconversion (pose d’isolants, rénovation thermique des bâtiments…) pour des victimes avec séquelles afin d’éviter les licenciements.

Le secteur de la construction déplore un mort par jour, comment l’analyses-tu ?

En premier lieu, il faut admettre que le risque zéro n’existe pas. Ensuite, nous constatons beaucoup moins d’accidents graves chez les ouvriers lorsqu’ils sont formés. Mais il y a toujours beaucoup de petits arrêts (entorses, coups…). Le problème numéro un, c’est la sous-traitance des risques. L’été dernier, nous avons alerté sur trois nouveaux décès sur des chantiers Eiffage parmi du personnel d’entreprises extérieures. Lorsque Eiffage fait appel à un prestataire, celui-ci apporte de la main-d’œuvre et du matériel. Ce jour-là, un ouvrier était à la manœuvre avec une découpeuse thermique (une machine à découper du béton, donc très puissante). Il y a eu un incident technique, l’engin ne disposait pas de dispositif d’arrêt d’urgence, cela lui a été fatal. Dans les grandes entreprises de BTP comme la nôtre, cela n’arrive pas car les normes sont très strictes sur le matériel. Mais nous n’avons pas la possibilité de soumettre les intervenants extérieurs à des contrôles. Nous nous battons pour faire baisser la sinistralité chez les sous-traitants : ils doivent avoir le même degré d’information et de formation que les salariés du groupe mais il n’y a pas d’obligations, donc ça ne sert à rien.

La direction ne met pas la pression pour faire respecter les consignes de sécurité ?

Non, pas vraiment. Juridiquement, c’est compliqué, et puis il y a trop de tensions sur nos métiers, trop de difficultés à recruter. Cependant, en interne, la direction a décidé d’octroyer aux salariés d’Eiffage jusqu’à 300 euros de prime individuelle si le taux de fréquence des accidents à l’échelle de leur établissement était égal à zéro. Nous avons averti que nous n’y étions pas favorables de peur que cela génère des tensions entre directions, travailleurs et victimes d’accident, avec sous-déclaration à la clé en vue d’obtenir cette prime.