Des vies à reconstruire

iconeExtrait du magazine n°497

Elles ont fui leur pays en guerre. Réfugiées d’Ukraine, Hanna, Mariia, Oksana et Svitlana doivent repartir de zéro en France. À Montrouge (92), les bénévoles du café culturel et solidaire les accompagnent dans leur recherche d’emploi. Témoignages.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 27/10/2023 à 09h00

Oksana Melnychenko, 46 ans, travaillait dans une banque près de Kiev. Elle a commencé une formation dans l’hôtellerie.
Oksana Melnychenko, 46 ans, travaillait dans une banque près de Kiev. Elle a commencé une formation dans l’hôtellerie.© Michel Le Moine

«Je me dis que j’ai de la chance dans mon malheur », témoigne Mariia Henkevych. Arrivée en France avec ses deux enfants de 8 et 12 ans, cette professeure d’histoire est désormais serveuse dans un restaurant de Montrouge. « Quand je vois la situation dans laquelle se trouvent beaucoup de mes compatriotes et les difficultés que certains rencontrent, je me dis que je m’en sors plutôt bien. »

Mariia Henkevych, 31 ans, était professeure d’histoire à Ivano-Frankivsk (dans l’ouest de l’Ukraine). Elle travaille désormais comme serveuse dans un restaurant de Montrouge.
Mariia Henkevych, 31 ans, était professeure d’histoire à Ivano-Frankivsk (dans l’ouest de l’Ukraine). Elle travaille désormais comme serveuse dans un restaurant de Montrouge.© Michel Le Moine

Un audit publié par la Cour des comptes en février 2023 montre que si le cas de la jeune femme n’est pas isolé, il est loin d’être la norme. Le document pointe « des résultats modestes » en matière d’insertion professionnelle des Ukrainiens et montre l’ampleur des progrès à accomplir. « En un an, sur une population de 85 000 adultes, seuls 11 916 bénéficiaires de la protection temporaire sont inscrits à Pôle emploi. Parmi eux, 2 820 sont en formation. »

Si Mariia a eu de la « chance », c’est en partie grâce à la solidarité des militants associatifs du café culturel et solidaire de Montrouge, qui ont fait jouer leur réseau, en plus d’avoir mis en place des cours de français langue étrangère dès qu’ils ont appris que des réfugiés allaient être hébergés dans la ville. « L’apprentissage de la langue est une priorité absolue pour accéder à un emploi, même peu qualifié, et s’intégrer socialement », détaille la militante associative et adhérente CFDT Marie-Nadine Eltchaninoff.

« La langue est une très grande barrière pour trouver du travail », confirme dans un français – très correct – Hanna Okhrimenko, ingénieure mécanique et directrice commerciale dans une entreprise d’huiles de moteur à Kiev. « Et l’oral, c’est une chose, mais il y a aussi l’écrit », précise celle qui a d’abord étudié la langue de Molière à l’école, avant de multiplier les cours du soir et les occasions de s’exercer.

“Peu importe ce que je fais ; le plus important, c’est de travailler pour lutter contre le stress et éviter la dépression.”

Hanna Okhrimenko.
Hanna Okhrimenko, 50 ans, était ingénieure mécanique à Kiev. En France, elle a signé un CDD de vendeuse chez Lenôtre.
Hanna Okhrimenko, 50 ans, était ingénieure mécanique à Kiev. En France, elle a signé un CDD de vendeuse chez Lenôtre.© Michel Le Moine

En attendant mieux, cette maman, qui partage avec ses deux fils de 14 et 17 ans une chambre dans un hôtel social, a trouvé un CDD de huit mois à temps plein en tant que vendeuse dans une boutique du traiteur Lenôtre, à Neuilly-sur-Seine, après avoir enchaîné des missions de ménage et assuré la circulation à la sortie des écoles. « Peu importe ce que je fais ; le plus important, c’est de travailler pour lutter contre le stress et éviter la dépression », poursuit Hanna, en évoquant son départ de Kiev, alors sous les bombes. 

« J’ai envoyé beaucoup de CV. Malheureusement, je n’ai pas beaucoup de réponses. »  Oksana Melnychenko travaillait dans une banque avant la guerre. Après avoir passé un an à galérer, elle a commencé, début septembre, une formation de six mois dans l’hôtellerie. « J’ai compris que je ne ferai pas mon métier d’origine. »

Alors qu’elle ne parlait pas un mot de français voilà quinze mois, elle a fait d’énormes progrès depuis : « C’est aussi très dur de ne pas parler la langue pour toutes les démarches administratives que nous avons à faire… », poursuit Oksana. Renouvellement du statut tous les six mois, logement, ouverture d’un compte bancaire ou inscription à Pôle emploi, tout devient rapidement une épreuve. « Beaucoup d’Ukrainiens renoncent d’ailleurs à cet accompagnement de Pôle emploi », observe la militante Marie-Nadine

Oksana Melnychenko, 46 ans, travaillait dans une banque près de Kiev. Elle a commencé une formation dans l’hôtellerie.
Oksana Melnychenko, 46 ans, travaillait dans une banque près de Kiev. Elle a commencé une formation dans l’hôtellerie.© Michel Le Moine

« C’est quasiment impossible de trouver un emploi quand on ne parle pas la langue, et c’est très difficile de trouver un logement quand on n’a pas de fiche de paye », explique Svitlana Palamarchuk, ancienne directrice financière et comptable de 44 ans. C’est le serpent qui se mord la queue.

Si elle maîtrise parfaitement l’anglais, elle est arrivée ici sans aucune notion de français. En un an, elle a rapidement progressé. Elle peut aussi compter sur le soutien de Uliana, sa fille de 17 ans, parfaitement bilingue, qui devait suivre les cours de licence à la Sorbonne, le 21 février… trois jours avant le début de la guerre. « Je veux vraiment continuer à apprendre parce que je ne veux pas accepter tout et n’importe quoi. Je veux faire quelque chose qui me plaît, dans le secteur qui est le mien », insiste Svitlana.

Svitlana Palamarchuk, 44 ans, directrice financière et comptable à Kiev, en recherche d’emploi, et sa fille Uliana.
Svitlana Palamarchuk, 44 ans, directrice financière et comptable à Kiev, en recherche d’emploi, et sa fille Uliana.© Michel Le Moine

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

Les rapporteurs de l’audit de la Cour des comptes constatent : « Il convient de renforcer prioritairement l’apprentissage du français en systématisant les formations de préparation à l’emploi […], en les combinant avec des solutions de garde d’enfants, puisque les femmes accompagnées de mineurs sont majoritaires. »

Si, dans une optique de séjour bref, l’accès à l’emploi peut revêtir une importance secondaire, il n’en va pas de même dans le cadre d’un séjour d’un an. « Personne ne sait quand finira cette guerre… », souffle Oksana. Les quatre femmes envisagent désormais leur avenir en France, pour elles et leurs enfants.

Autre sujet de préoccupation qu’il faudra rapidement prendre à bras-le-corps : l’intégration des enfants. Si tous ont rapidement été scolarisés, ils peinent à trouver leur place et souffrent du mal du pays. « C’est compliqué pour eux… », confient, peinées et soucieuses, Mariia et Hanna.