Dans le monde du travail, la colère gronde

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icone Extrait de l'hebdo n°3978

À quelques heures de la journée nationale intersyndicale du 18 septembre, dans quel état d’esprit sont les travailleurs et leurs représentants CFDT ? Comment se prépare la mobilisation ?

Par Anne-Sophie BallePublié le 16/09/2025 à 12h00

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© CFDT - DR

Elle paraît déjà bien loin, la rencontre intersyndicale du 29 août dernier, où les huit numéros un avaient arrêté, ensemble, la date du 18 septembre pour une grande journée de mobilisation nationale. Depuis, le gouvernement est tombé sous le coup d’un vote de confiance de l’Assemblée ; un nouveau Premier ministre a été nommé ; et les prises de contact avec les partenaires sociaux se sont enchaînées, rue de Varenne, avec le nouveau locataire de Matignon. Le message délivré par la CFDT, lui, reste d’actualité : peser activement sur les orientations budgétaires du prochain gouvernement, alors que se crispe chaque jour un peu plus le monde du travail.

« Partout, la colère est là, analyse un délégué CFDT de la chimie de Provence. Le 18, nous serons dans la rue ; pas par habitude ou par plaisir, mais parce qu’il y a un ras-le-bol général. » Même son de cloche dans la fonction publique hospitalière, où Ève Rescanières, secrétaire générale de la CFDT Santé-Sociaux, décrit une situation explosive : « Les baisses de financement dans les établissements et les services se poursuivent, continuant de dégrader tout le secteur de la santé et la cohésion sociale. On a besoin d’un choc d’attractivité quand on nous propose une nouvelle année blanche », estime-t-elle, pointant en exemple « les avenants salariaux, même minimaux comme celui prévu pour les salariés de l’aide à domicile, refusés à l’agrément. Le monde du travail ne supportera pas de nouvelles ponctions ».

Si, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le taux de participation n’est toujours pas connu – les grévistes étant tenus de se déclarer 48 heures à l’avance –, la grève s’annonce particulièrement suivie dans les transports (où trois syndicats de la SNCF, représentant 70 % des voix aux élections professionnelles, et quatre syndicats de la RATP ont appelé à la grève). Idem dans l’enseignement, où les revendications nationales s’accompagnent d’une profonde inquiétude des personnels, relayée par la FEP CFDT et la CFDT EFRP (Éducation Formation Recherche publiques) lors de leurs conférences de presse de rentrée respectives.

Chez France Travail, l’ensemble des syndicats appellent également à la mobilisation, demandant « des moyens budgétaires et humains » pour remplir leurs missions. « Depuis la création de France Travail et l’entrée en vigueur de la loi pour le plein-emploi, nous assistons à une transformation à marche forcée et des changements à un rythme effréné », écrivent les dix syndicats de l’opérateur, dénonçant « des objectifs irréalistes qui transforment les métiers en usine à chiffres ».

Entre colère et résignation

Dans les territoires aussi, la mobilisation s’organise. En Bretagne, on dénombre à date une vingtaine de points de rassemblement, « presque autant que pendant les mobilisations retraites, avec une bonne couverture intersyndicale », note Christophe Rondel, secrétaire général de la CFDT Bretagne. Mais il l’admet : l’enjeu va être de dépasser le cercle militant. « Le coup politique de Bayrou et l’absence de gouvernement ont laissé beaucoup de salariés dans l’expectative, coincés entre colère et résignation. » Même interrogation en Auvergne-Rhône-Alpes, où chacune des sept UTI1 enregistre au moins deux points de mobilisation et où « les syndicats se donnent les moyens de communiquer par tous les canaux possibles auprès des adhérents, remarque Pierrick Aillard, secrétaire général de la CFDT Aura. De prime abord, le financement de la protection sociale a quelque chose de moins concret sur le quotidien des travailleurs que ne pouvait l’avoir la réforme des retraites. Mais le ras-le-bol est là. Il est global. Et de nouvelles annonces provocatrices dans les prochains jours pourraient mettre du carburant dans le moteur. »

Dans son échange avec Sébastien Lecornu, le 12 septembre dernier, Marylise Léon a d’ailleurs eu le loisir de redire au Premier ministre tout le mal qu’elle pensait des annonces faites à la mi-juillet par son prédécesseur (suppression de deux jours fériés, relance de la négociation assurance chômage, monétisation de la cinquième semaine de congés payés…) Et de l’urgence absolue de procéder à « un certain nombre de ruptures sur le fond et sur la forme ».

Faire entendre la voix des travailleurs

Un changement de méthode ? C’est exactement ce qu’attendent les travailleurs et leurs représentants ! Mais selon Perrine Mohr, secrétaire générale de la CFDT Hauts-de-France, « l’État ne peut être l’acteur unique du changement ». Alors quels leviers activer ? quels acteurs mobiliser ? « On endosse la responsabilité de canaliser la colère mais aussi d’organiser la prise de parole, de visibiliser la voix des travailleurs dans la période. » C’est pour cette raison qu’en marge de la dizaine de cortèges prévus dans cette région, diverses opérations de visibilité ont été organisées à Amiens, Lille, Saint-Omer ou Saint-Quentin. « Chaque jour nous remonte l’écho de travailleurs et de citoyens méprisés, en colère, qui ne se sentent pas écoutés, qui sont invisibilisés, résignés parfois. Le sentiment d’être dans un moment démocratique très incertain et flou accentue cette méfiance vis-à-vis du monde politique. Le 18, c’est donc l’occasion de recueillir la parole des salariés et d’inviter les forces politiques et économiques de la région à entendre ce que le monde du travail a à dire concrètement. » C’est aussi une manière de porter la parole de tous ces travailleurs qui ne pourront peut-être pas, pour des raisons financières, faire grève ou rejoindre les cortèges.

En Grand Est, où les PSE se multiplient (dans la sidérurgie, par exemple), « l’ambiance est à la sauvegarde de l’emploi, quand la politique budgétaire peut paraître pour certains plus abstraite, éloignée de leurs préoccupations immédiates », résume Carine Jacquin, secrétaire générale de la CFDT Grand Est, qui dénombre quand même une quinzaine de points de rassemblement dans la région.

Pour un juste partage des efforts

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Avec ses annonces budgétaires de la mi-juillet, François Bayrou avait réussi à faire basculer les travailleurs de l’exaspération à la colère. Ce 18 septembre, ils seront dans la rue afin de rappeler leur opposition aux choix budgétaires qui ont prévalu jusqu’à présent autant que pour porter les fondements d’une véritable justice sociale et fiscale. Pour la CFDT, il est hors de question que ce soit le monde du travail qui paye la réduction des déficits. « C’est une question d’acceptabilité sociale : si des efforts doivent être faits, tout le monde doit y contribuer en fonction de ses moyens, et ça répond à une partie du problème. Le déficit budgétaire, c’est d’abord un problème de recettes », rappelle Marylise Léon, plus que jamais déterminée à réussir cette mobilisation de rentrée unitaire.