« Les femmes s’esquintent de plus en plus au travail »

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Ce que vivent les femmes

La santé des femmes au travail est un sujet qui a longtemps été ignoré au nom de l’égalitarisme à la française. Un phénomène qui a retardé les politiques de prévention en la matière, selon Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

Par Claire Nillus— Publié le 02/02/2024 à 14h20

Florence Chappert, responsable du projet 
« Genre, santé et conditions de travail » de l’Anact.
Florence Chappert, responsable du projet « Genre, santé et conditions de travail » de l’Anact.DR

Pourquoi travailler sur la question du genre en santé au travail ?

1. « Photographie statistique de la sinistralité au travail en France selon le sexe » (entre 2001 et 2019).

Avant 2008, date à laquelle l’Anact a décidé d’intégrer la question du genre dans ses actions, il n’y avait pas de données femmes-hommes en santé au travail. Or la première photographie statistique des accidents de travail, des accidents de trajet et des maladies professionnelles, que nous avons pu établir en 2012, constatait une baisse globale des accidents de travail, mais pas pour les femmes1. Les situations de travail sont différentes selon les sexes, donc les expositions aux risques professionnels aussi.

Pourquoi les femmes subissent-elles plus d’accidents du travail ?

En premier lieu, parce que plus de femmes intègrent des métiers réputés d’hommes que l’inverse. Et lorsque des femmes entrent dans des métiers à dominante masculine (BTP, transports…), elles intègrent des organisations de travail qui ne se sont pas suffisamment transformées, avec des cadences prévues pour des hommes jeunes et en bonne santé, des matériels inadaptés à leur taille, des ports de charge excessifs. Par ailleurs, les métiers à dominante féminine (enseignement, métiers du soin…) ont longtemps été estimés sans risques, invisibilisant les problèmes de santé et retardant les politiques de prévention. Enfin, lorsque des femmes commencent à exercer au premier niveau d’une profession (aide-soignante, assistante…), elles évoluent peu, ont des conditions de travail usantes, ce qui génère une sinistralité plus élevée.

Au nom de l’égalité femmes-hommes, le code du travail a supprimé depuis trente ans toute référence au sexe. Comment différencier sans discriminer ?

Effectivement, montrer qu’il y a plus d’absentéisme chez les femmes constitue pour le patronat un argument pour ne pas les embaucher… Mais il y a un état de fait: les femmes s’esquintent de plus en plus au travail, tous les indicateurs le disent.

Pendant longtemps, au nom d’un prétendu égalitarisme à la française, on a considéré que le travail était le même pour les hommes et les femmes. En réalité, ils et elles ne font pas le même métier –seuls 20% des métiers sont mixtes–, leurs parcours ne sont pas les mêmes, leurs contraintes au travail et hors travail non plus (les femmes continuant d’assumer plus de tâches domestiques). Notre approche est une analyse différenciée mais non discriminante car elle vise à bâtir des solutions pour améliorer les conditions de travail et la prévention pour toutes et tous.

Malgré tout, il y a encore beaucoup à faire pour lutter contre cette idée selon laquelle les femmes sont «plus fragiles», «ne tiennent pas le coup», etc.

2. « Les absences au travail des salariés pour raisons de santé : un rôle important des conditions de travail », Dares Analyses no 009, 2013.

Oui, et pour cela, il faut produire des données sexuées et les clés de compréhension qui vont avec. Sur l’absentéisme, par exemple: l’absence des parents d’enfants de moins de 6ans est de plus 0,2%2, c’est très faible. On peut estimer qu’environ un quart des causes du surabsentéisme des femmes est dû aux arrêts maladie avant maternité, un autre quart est le fait de longues maladies qu’elles ont pendant leur carrière (cancer du sein, endométriose, fibromyalgie) qui surviennent plus tôt que chez les hommes et la moitié est due à la pénibilité et aux contraintes de travail des postes occupés.

3. « Conditions de travail et mixité : quelles différences entre professions, et entre femmes et hommes ? », Dares, 19 janvier 2023, document d’études no 265, Karine Briard.

Une récente étude3affirme que les femmes sont plus exposées à la souffrance psychique. Qu’en pensez-vous ?

Les risques psychosociaux ne faisant pas partie des tableaux des maladies professionnelles reconnues par la Sécurité sociale, ils sont difficiles à quantifier. Mais nos constats –à l’instar d’autres études, dont celle que vous évoquez– attestent que les hommes sont globalement plus exposés aux risques physiques et les femmes plus exposées aux risques psychosociaux à cause, là encore, des métiers qu’elles occupent, de leurs exigences émotionnelles, contraintes organisationnelles, etc. Surtout, elles sont surexposées aux violences sexistes et sexuelles au travail.

Comment améliorer la prévention ?

Au niveau national, nous devons continuer à travailler à un état des lieux consolidé qui n’existe pas encore, car nous ne disposons, à ce jour, que de données partielles.

L’Anact pilote aussi l’action « Santé des femmes » du quatrième Plan santé au travail [2021-2025], élaboré par les partenaires sociaux, qui comporte pour la première fois des recommandations dans ce sens. Il préconise de développer un outillage à destination des entreprises pour qu’elles évaluent les risques en prenant en compte leur impact différencié en fonction du sexe (ce qui est désormais obligatoire depuis 2014), pour qu’elles se mobilisent contre les risques de violences sexistes et sexuelles et les intègrent dans leur document unique d’évaluation des risques professionnels [Duerp, lire ci-contre].

Si seulement 50 % des entreprises le font – ce qui est regrettable –, ce document est néanmoins un bon levier pour faire évoluer la santé au travail des femmes et des hommes.