La fatigue militante n’est plus taboue

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iconeExtrait de l’hebdo n°3895

Le comité d’experts en sciences sociales, lancé par la CFDT en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, a publié une sixième note sur le thème “Une société fatiguée ?”. Dans le sillage des ordonnances Macron et de la pandémie, Cécile Guillaume et Frédéric Rey, sociologues, livrent leurs réflexions sur “La fabrique ordinaire de l’épuisement syndical”. Une analyse utile pour mieux prévenir la fatigue militante.

Par Claire Nillus— Publié le 07/11/2023 à 13h00 et mis à jour le 09/11/2023 à 05h08

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« L’imaginaire collectif (et notamment syndical) a longtemps considéré que le militant était par construction infatigable », justifiant « la dimension sacrificielle de son engagement », écrivent les auteurs en introduction. Mais la grande enquête « Parlons engagement » menée par la CFDT en 2022 a permis aux militants d’exprimer une autre vérité, longtemps restée inaudible eu égard à leur dévouement : ils y disent toutes les tensions, les difficultés et les malaises liés à leur engagement. Certes, le militantisme syndical « n’a jamais été de tout repos », notent les deux sociologues, mais la réduction des moyens depuis les ordonnances Macron, entre autres raisons, a aggravé la fatigue militante.

Malaise dans les sections

Si les répondants mettent volontiers en avant le sentiment d’utilité qui les anime, ils sont nettement plus critiques quand on les questionne sur l’ambiance au sein de leur section syndicale. Les chercheurs soulignent d’ailleurs les dissensions entre militants apparues dans l’enquête, preuve que le syndicalisme n’échappe pas aux discriminations de tous ordres : 26 % des femmes parlent de sexisme, 27 % de moins de trente-cinq ans de « jeunisme », 27 % évoquent le manque de reconnaissance. Dans ces conditions, les personnes peu qualifiées et les jeunes peinent à trouver leur place. « La professionnalisation de l’activité syndicale » est ainsi pointée par les auteurs comme dissuasive pour un certain nombre de salariés.

Une activité très chronophage

Sans surprise, les effets des ordonnances Macron sont largement cités. Face à la surcharge de travail, cumulée avec des obligations familiales et un emploi, « le don de soi » atteint rapidement ses limites tandis que le temps passé reste vu « comme une preuve de l’engagement ».

Mais ce n’est pas tout, « Parlons engagement » confirme le risque de discrimination lié à la prise de mandat : 60 % des élus interrogés constatent que leur engagement constitue un frein à leur évolution professionnelle. Enfin, l’énergie et la motivation venant aussi des résultats que l’on obtient, la difficulté de faire changer les choses pèse lourdement sur leurs épaules. Dans les réponses, cela se traduit par une défiance vis-à-vis des employeurs et le sentiment de n’avoir pas assez de pouvoir en face d’eux.

Tous ces éléments contribuent à faire naître « le malheur militant », selon l’expression de Bernard Pudal dans la postface de l’ouvrage éponyme, et résument la tension qui existe entre des vocations enthousiastes (et de plus en plus rares) et la dureté de l’exercice (de plus en plus réelle).

Prendre soin des militants

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

« Le constat, nous le partageons, réagit Luc Mathieu, secrétaire national. La première partie de la résolution générale du congrès de Lyon, en juin 2022, est d’ailleurs consacrée au fonctionnement interne de la CFDT. Ce n’est sans doute pas un hasard. » Depuis le dernier congrès confédéral, en effet, où beaucoup de responsables syndicaux ont parlé de cette fatigue militante, les mobilisations sans précédent contre la réforme des retraites ont néanmoins permis de mesurer un dynamisme certain dans les rangs cédétistes.

On peut y voir, comme le dit l’enquête, à quel point la cause syndicale reste porteuse de sens, et combien le fait de s’engager est un bon moyen de se mettre en cohérence avec des valeurs, où l’espoir l’emporte sur la colère : 91 % des élus et mandatés syndicaux décrivent une belle expérience. Toutefois, il faut qu’ils puissent se prémunir contre les désillusions et/ou l’épuisement professionnel. L’enquête appelle donc notre organisation à la plus grande vigilance vis-à-vis de ses militants, et la note rappelle que l’État doit aussi prendre sa part dans le renforcement des pouvoirs syndicaux.