« Il faut recréer une instance dédiée et autonome »

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Un statu quo insupportable

Selon Bernard Dugué, ergonome, enseignant chercheur à Bordeaux, l’analyse en profondeur et de manière collective des accidents du travail est une priorité. Interview.

Par Jérôme Citron et Claire Nillus— Publié le 27/10/2023 à 09h00 et mis à jour le 27/10/2023 à 09h00

Bernard Dugué
Bernard Dugué© DR

Le nombre d’accidents du travail ne baisse plus en France. Comment expliquer cette situation ?

En matière d’accidents du travail comme sur toute question de santé au travail, l’analyse des causes est centrale pour concevoir des politiques de prévention efficaces. Or, c’est là que cela pêche dans les entreprises. Bien souvent, l’analyse d’un accident est trop rapide, menée de manière trop superficielle. Il n’y a pas une compréhension fine de ce qui s’est passé. On se focalise sur des causes immédiates et sur le comportement individuel du salarié: il aurait manqué d’attention, il n’aurait pas porté les bons équipements de sécurité, il n’aurait pas suivi les procédures… À la fin, cela se termine par un simple rappel des règles. Or on sait bien qu’en matière d’accident, il y a souvent des causes profondes, structurelles, organisationnelles, qu’il est important de comprendre.

C’est pourquoi les représentants du personnel ont une fonction essentielle car, en lien avec les salariés concernés, ils peuvent apporter un regard plus riche et des éléments de contexte pour justement aller au fond de l’analyse.

Beaucoup d’élus regrettent la fin des CHSCT, actée par les ordonnances de 2017. Partagez-vous cet avis ?

Oui, il est indéniable que la prise en charge des questions de santé et sécurité au travail a perdu du terrain. Elles ne sont pas toujours considérées comme prioritaires par des élus du CSE, qui font face à une multitude de sujets à traiter. Les préoccupations économiques, on peut le comprendre, passent souvent en premier. De plus, le domaine de la santé et de la sécurité couvre un éventail de sujets extrêmement vaste. Cela va de la conception de postes de travail aux troubles musculosquelettiques en passant par les accidents du travail ou les risques psychosociaux. Les nouveaux élus dans les CSE ont tendance à être très généralistes, donc peu à l’aise avec ces thématiques complexes.

Que faudrait-il faire ?

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

Il est nécessaire de recréer une instance dédiée et autonome avec de véritables moyens d’investigation. Un lieu où les différents acteurs de l’entreprise peuvent débattre : la direction, les élus du personnel et les personnes-ressources extérieures comme la médecine du travail ou des spécialistes de la prévention.

Il faudrait encore davantage mettre l’accent sur la formation des élus du personnel comme de la direction, d’ailleurs. Si l’on veut faire reculer les accidents du travail, l’approche ne peut être que collective et la plus ouverte possible. L’apport des experts n’est pas à négliger. Tout le monde doit prendre sa part pour que s’installe une dynamique – sans oublier les salariés, qui ont beaucoup de choses à dire sur leur travail !     

La CFDT crée des commissions AT-MP

Le système assurantiel des accidents du travail repose sur la présomption d’origine professionnelle. Tout accident survenu dans le cadre du travail est présumé imputable au risque professionnel et doit être réparé. Mais si les travailleurs n’ont pas à prouver la faute de l’employeur, le système ne leur garantit pas forcément en retour une prise en charge leur permettant de rebondir.

Afin de les aider, certaines équipes CFDT ont créé des commissions AT-MP avec des intervenants extérieurs, des médecins et des juristes, afin de partager leurs expériences et affiner leur stratégie. « Nous traitons des dossiers complexes. La difficulté réside bien souvent dans l’appréciation des séquelles après accident, les médecins-conseils de la Sécurité sociale ayant tendance à tirer les taux d’IP (taux d’incapacité permanente, qui vont déterminer le montant de l’indemnisation) vers le bas. De plus, certaines lésions n’apparaissent qu’a posteriori (dépression, traumatisme à la suite d’une explosion, surdité qui s’installe progressivement…) », explique Jacques Darmon, médecin, qui participe à la commission AT-MP de la Fédération CFDT Mines et Métallurgie.

« L’objectif, c’est d’obtenir la meilleure réparation possible pour que les personnes accidentées puissent se reconstruire. Car si tout le monde est favorable à la prévention, une réparation qui coûte cher est aussi l’un des meilleurs moyens d’arriver à une prévention efficace. Les juristes qui travaillent avec nous s’accordent à dire que l’une des façons d’inciter certains employeurs à protéger leurs salariés, c’est de faire en sorte qu’en cas de manquement de leur part, la violation de la loi soit clairement sanctionnée », souligne-t-il.  

Claire Nillus